« L’esclavage crée le désir de libération ; l’exil, lui, fait naitre le rêve de la délivrance« . (Marek Halter)
Calais, 2008. Plusieurs centaines d’immigrants errent dans la ville, entre la « jungle », les squats, les distributions alimentaires et les « parkings », ces portes-sésames vers l’Angleterre, terre inconnue, rêvée comme le point d’orgue de leur long et douloureux voyage.
Au fil des discussions, des silences, des larmes enfouies, des éclats de rire et des regards égarés, je me suis aperçu qu’un fil invisible unissait tous les récits. Comme si chacun(e)s de ces hommes, de ces femmes, avait vécu une histoire similaire que le contexte local avait enrichi d’une touche singulière qui n’en change en rien le fond. Ce fil invisible est fait d’angoisse, d’abandon, de déchirements (lire la suite sous les photos).
(suite du texte..)
Les migrants que j’ai rencontrés à Calais fuient avant tout pour des raisons politiques, qui mettaient leur vie en danger – et souvent celle de leur famille. Ils fuient sinon pour sauver leur vie, du moins pour retrouver leur liberté et leur dignité d’homme, de femme. Ils fuient sinon la mort, du moins l’asservissement. Paix et liberté sont leurs premières aspirations. Ils n’ont, pour la plupart, pas de rêves : ils fuient avant tout leur passé.
Leur parcours est un voyage généralement improvisé qui commence le jour où un événement de leur vie dépasse la violence tolérable : assassinat de proches, emprisonnement, tortures et autres violences physiques, demande de rançon insoutenable… Le saut en dehors des frontières de leur pays signe alors leur nouveau statut : celui de migrant, de réfugié, de clandestin, celui d’apatride errant, hanté par un passé qu’il doit fuir, mais dont le souvenir le torture encore, épuisé par un présent qui n’a pas de futur. Une longue route commence, hostile, truffée de portes closes, de rejets, de violence.
Chaque pays traversé (Soudan, Libye pour les Africains de l’est, Iran, Turquie pour les Afghans ou les Kurdes) est une désillusion qui pousse à la fuite perpétuelle. Vols, viols, violence, racisme et ostracisme mènent petit à petit les migrants aux portes de l’Europe, cet éden de droits – paraît-il. Arrive la Grèce ou l’Italie : asile impossible, travail impossible, violences policières, incarcération, l’enfer a juste pris une autre couleur, celle de l’imposture et de l’artifice droit-de-l’hommiste. La claque est violente : on est en Europe, pourtant ?! Et l’on se fiche de leur histoire, de leurs problèmes, de leurs souffrances : « Vos papiers s’il vous plait ? » résonne comme un coup de matraque sur la liberté d’exister. On entend alors des rumeurs, sur cette Angleterre plus ouverte, moins obsédée par la traque des sans papiers, plus libérale, et qui offre du travail au black. Ne nous méprenons pas : les immigrants y sont moins vus comme des parasites que comme de la main d’œuvre pas chère, pragmatisme libéral oblige. Mais pour les migrants, c’est déjà ça. L’Angleterre a de plus souvent déjà « accueilli » un membre de la famille, un ami qui pourra aider.
C’est comme cela que l’on échoue à Calais : ici, paraît-il, on passe facilement en Angleterre. L’ultime étape ; pour certains, la plus dure, la plus épuisante. D’une part, parce qu’on a déjà des mois voire des années de périples derrière soi. D’autre part, parce que Calais est un laboratoire de l’ultraviolence policière, qui pousse les migrants à bout. Mais la liberté et la paix n’a pas de prix : de toutes façons, ont-ils le choix ?
Les histoires de ces migrants sont un hymne à la vie, un crachas au visage des nantis qui gouvernent notre monde et qui veulent faire d’eux des sous-hommes. À travers leurs exils pour leurs libérations sociales, ils nous rappellent que la vie n’est jamais perdue, que la résistance et la détermination sont les alliées de l’espoir….