Le 22 mars 2008, un millier de personnes venues de toute l’Europe ont pris la direction du Quartier Général de l’OTAN à Bruxelles, pour participer à l’action NATO GAME OVER et dire non à la politique de la guerre menée par les forces occidentales.
En route pour la paix
9h – L’heure des derniers échauffements avant l’action. Rendez-vous est donné à tous les participants dans une salle bruxelloise afin de se coordonner. Je débarque avec quelques ami-es clowns lillois-es. La mobilisation n’est pas négligeable : près d’un millier de personnes sont venues de toute l’Europe, de l’Espagne à la Finlande.
L’action Nato Game Over est organisée par Vredesactie (en français « action pour la paix »), mouvement pluraliste belge qui « plaide radicalement pour une société où les conflits sont réglés sans violence et sans la menace d’y recourir »(1) . Le principe de l’action est symbolique : pénétrer à l’intérieur du Quartier Général militaire de l’OTAN à Evere pour en sceller portes, fenêtres et voies d’accès. Par là, il s’agit de rendre visibles les structures militaires employées par l’OTAN pour mener une politique d’agression et de guerre à travers le monde. Les activistes pour la paix veulent montrer que l’OTAN, c’est aussi l’Europe : qu’on le veuille ou non, le Vieux Continent a les mains dans les guerres en Irak et en Afghanistan. Contre l’avis de la majorité des citoyens.
Les revendications du mouvement pour la paix portent sur la réduction de la capacité d’intervention militaire de l’OTAN, la démilitarisation de la coopération internationale, et l’arrêt des activités qui nourrissent les conflits : suppression du rôle des armes nucléaires dans la stratégie militaire, abandon du projet d’un bouclier anti-missiles pour les Etats-Unis, retrait d’Afghanistan et d’Irak,…
Dans la gueule du loup – ou l’autoritarisme contre sa parodie
12h. Près d’un millier d’activistes se dispersent dans Bruxelles et prennent la direction, par différents chemins, du Quartier Général de l’OTAN. Je décide de suivre un groupe de clowns venus de France, de Belgique, de Hollande pour parodier la guerre avec burlesque et fantaisie. Eux ont décidé de ne pas tenter de pénétrer dans le QG de l’OTAN. Ils sont là pour faire diversion.
Le nez rouge et le sourire narquois, les clowns marchent au pas dans les rues de la capitale, pistolet en plastique au ceinturon ou bazooka en carton sur l’épaule, sous le regard ahuri des passants qui leur indiquent, incrédules, le chemin de l’OTAN. L’ambiance est électrique. Bientôt passe, devant nous, deux énormes cars de la police, avec probablement plus d’une centaine d’activistes à l’intérieur, qui nous font de grands signes de la main.
Nous continuons, par un chemin boueux qui longe le territoire de l’OTAN. Soudain, deux hélicoptères noirs nous survolent, et des silhouettes noires se détachent au loin sur notre chemin, à peine dissimulées. La police nous encercle, mais le groupe de clowns décide de continuer à avancer : la confrontation fait partie du jeu, de l’enjeu. La bataille n’est pas équilibrée : trois grands cars, des dizaines de sentinelles en costume, dont certains à cheval, nous cueillent avec fermeté mais aussi, avec cette retenue qui marque un réel questionnement par rapport à des ordres absurdes : 50 clowns avec des pistolets en plastiques sont-ils vraiment un danger qui nécessite un déploiement aussi coûteux d’une si grosse brochette de flics ? Qui est la menace, qui est le menacé ?
13h30. Tranquillement, on nous assoit par terre, en rang d’oignons, on nous menotte avec des serflex, et l’on nous fait monter dans un car rempli à raz bord, direction le Palais de Justice. Une fois arrivés à destination, l’attente s’éternise. Il y a en effet embouteillage de cars de police : pas moins de 500 activistes et citoyens pour la paix ont été arrêtés ce jour-là, pour avoir effleuré de trop prêt le sanctuaire de l’OTAN.
15h. Une bonne heure plus tard, on entre enfin dans le Palais de Justice. Là, c’est par une profusion de cris, de chants, de serpentins et de coups de sifflets que nous sommes accueillis. De partout, les cellules dégueulent d’activistes déchaînés, en colère, en pleine effervescence. On nous parque dans nos cages, de petites cellules d’environ 2,7m2 qui peuvent contenir jusqu’à 9 ou 10 personnes. Petit à petit, les derniers prisonniers arrivent, puis nos geôliers s’en vont. Les heures passent. Alors, on invente des jeux, on chante, on discute de tout. Puis, l’on fatigue. On se trouve chacun un moyen de s’asseoir, de dormir. On nous refuse d’aller aux toilettes. L’incarcération dure 5 heures.
20h. On nous relâche au compte-goutte. Nos conditions de sortie sont décevantes : chaque activiste est pris en photo, puis doit signer un papier par lequel il déclare avoir reçu tous les traitements qui lui étaient dus : eau, nourriture, possibilité d’aller aux toilettes. Ceux qui s’indignent contre cette imposture, ou, simplement, refuse de signer par sincérité, se voient menacés de croupir 12h de plus en geôle. Tout le monde signe et sort.
Sales guerres à l’autre bout du monde : mais qui a les mains dedans ?
Pourquoi une telle vigilance policière autour d’une action symbolique ? Les réactions policières autoritaristes qui ont entourées Nato Game Over sont pleines d’enseignements. On ne touche pas à l’OTAN. On ne parle pas de l’OTAN. Nous, citoyens européens, n’avons aucun droit de regard sur ses agissements. Les hautes sphères du pouvoir s’en chargent pour nous.
N’oublions pas que l’OTAN n’est en rien une force de maintien de la paix : son objet est de défendre les intérêts stratégiques de cet occident dominant qui asservit un monde « émergent » ou « à développer » à ses injonctions économiques. Originellement utilisée comme outil dissuasif par un groupe de pays pris dans l’étau de la Guerre Froide, l’OTAN est aujourd’hui exploitée par les Etats-Unis pour maintenir l’ordre du monde selon leur vision.
Cet alignement de l’Europe sur les Etats-Unis n’est pas anodin : 350 armes nucléaires américaines stockées sur le Vieux Continent(2). Des dizaines de milliers de soldats américains stationnés en Europe en attente de leur mobilisation au Moyen-Orient (54.000 en 2003, pour faire parler les chiffres). Si les effusions anti-guerre de Chirac nous avaient presque rendus fiers à l’époque des premières frappes chirurgicales massives en Irak, il ne faut pas oublier que la machine de guerre américaine est transportée vers l’Irak et l’Afghanistan via les routes, les ports et les aéroports européens(3). Les chiffres parlent : on estime que la guerre en Irak aurait fait, selon les sources, entre 650.000 et un million de morts. Le pays est embourbé, à l’image de l’Afghanistan, dans un chaos inextricable. Face à ces faits, les activistes pour la paix émettent un signal fort : citoyens européens, méfiez vous des crimes qu’on commet en notre nom !
Au printemps dernier, le président français M. Sarkozy décidait d’envoyer 1.000 soldats supplémentaires en Afghanistan, et annonçait que la France souhaitait participer au commandement de l’OTAN – contrairement à ce qu’il annonçait dans sa campagne présidentielle. Faisant totalement fi des dommages collatéraux de cette politique. Après tout, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
Mais quels fruits récolteront nous de cette ardeur guerrière ? Dans sa croisade pour le maintien et la sécurisation de l’ordre libéral, l’OTAN laboure sournoisement les germes de la paix mondiale. D’abord, parce que ses propres agissements tendent à aggraver les conflits et à créer de nouveaux ennemis ou menace. Pour les pays qui ne font pas partie de l’OTAN, et qui sont donc définis par l’alliance transatlantique comme un problème de sécurité potentiel, le développement de l’OTAN est perçu comme une menace à laquelle ils tenteront d’apporter une réponse militaire. Avec, comme conséquences, une poursuite de la course aux armements, et une militarisation des relations internationales. Ensuite, parce que l’OTAN assoit sa stratégie sur l’essor des armes nucléaires – violant ainsi le droit international et particulièrement le traité de non-prolifération de la Haye (1996). Or, les armes nucléaires sont les armes de destruction en masse les plus puissantes et les plus destructrices jamais développées. Leurs effets ne sont contrôlables ni dans l’espace, ni dans le temps et touchent autant les civils que les militaires, sans aucune distinction. Elles ont par ailleurs de moins en moins la fonction dissuasive qui prévalait, et sont de plus en plus utilisées dans les guerres – sous forme de bombes à uranium « appauvri » par exemple. Le projet des Etats-Unis de développement d’un système national de défense anti-missiles en est l’illustration : celui-ci perturberait l’équilibre stratégique mondial basé sur la dissuasion, et laisserait la liberté aux Etats-Unis d’attaquer avec des armes nucléaires sans risquer une contre-attaque. Ce bouclier anti-missile nécessiterait en outre des installations en Europe (notamment en Pologne et en République Tchèque), renforçant la subordination du Vieux Continent à la politique de guerre américaine.
Il est urgent qu’une coopération européenne pour la paix fleurisse, responsable, déterminée, non-violente mais radicale dans sa volonté de faire changer les choses. Nato Game Over nous ouvre la voie.
Liens :
VREDESACTIE
Non au missile M51
Le dossier du monde diplomatique L’alliance atlantique à la recherche de nouvelles missions
Quelques éclairages sur le bouclier anti-missiles ici et ici
Notes :
(1) Vredesactie mène notamment depuis 1997 une campagne contre la présence d’armes nucléaires en Belgique.
(2) En Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Turquie et Royaume-Uni
(3) Pour mémoire, l’OTAN est, dans une moindre mesure, engagée en Irak, où elle mène une mission de formation des forces de sécurité irakiennes